Publié le 22/05/2024
Christophe Wilmort : En tant que chimiste de formation, nous avons été confrontés à la phase d’état de l’art qui existe dans tout projet de R&D. Cette étape, au cours de laquelle il s’agit de passer en revue la littérature scientifique afin d’en savoir plus sur des travaux existants en lien avec le projet envisagé, peut être particulièrement fastidieuse et chronophage. Or, il est indispensable de se référer à l’état des connaissances du métier avant de procéder aux étapes plus concrètes de développement R&D. Nous nous sommes rendus compte qu’avec une solution d’intelligence artificielle adaptée, nous pouvons offrir au chercheur un outil précieux pour faciliter et accélérer cette phase en amont.
C. W. : Il s’agit d’un outil logiciel que nous avons mis sur pied pour automatiser cette phase d’état de l’art. Il est intitulé Chemy Lane. Dans un premier temps, son rôle est de passer au crible littérature scientifique de la façon la plus exhaustive possible autour d’un sujet donné, comme le nom d’une molécule, le nom d’une méthode analytique, la première publication scientifique d’un domaine particulier… Un des critères essentiels dans notre développement consiste à privilégier le volet ergonomique, visuel, facile à lire, facile à utiliser.
L’objectif est dans un second temps de faciliter l’extraction d’informations ciblées pour le chimiste au sein des nombreuses publications consultées. Avec un tel outil technologique intelligent, il est possible de disposer rapidement d’éléments recherchés pertinents en lien avec le projet de recherche.
C. W. : Il est très positif, notamment en raison des gains de temps, de l’exhaustivité des publications parcourues, et de la précision des informations extraites. Ce travail automatisé permet d’avoir rapidement une vision globale de toutes les données potentiellement intéressantes. On estime entre 20 minutes et 1 heure la durée nécessaire à un chimiste, selon son expérience, pour parcourir et extraire tous les éléments pertinents d’une publication. Avec cette solution, on accède en quelques secondes aux informations souhaitées correspondant à différents domaines : les molécules et leur caractéristiques, les plans d’expérimentation, les protocoles analytiques, les caractérisations des propriétés, et des scorings que nous avons établis.
C. W. : Ils concernent une autre valeur ajoutée majeure de cet outil innovant. L’une de nos grandes motivations au cours de nos développements est de pouvoir proposer des solutions pour une chimie d’avenir, plus verte et plus vertueuse. Les molécules extraites et les plans expérimentaux extraits sont associés à scoring environnemental, d’écotoxicité et à un scoring économique, afin de signifier au chimiste que la molécule envisagée dans son projet de R&D est plus ou moins qualitative ou performante selon ces critères.
C. W. : Les perspectives s’annoncent intéressantes. Les centres de recherche comme le CNRS montrent d’ores et déjà beaucoup d’intérêt envers notre solution, tout comme de grandes industries de la chimie qui œuvrent dans de multiples domaines. Potentiellement, toutes les industries de la filière peuvent y trouver un avantage, qu’il s’agisse de plasturgie, de pharmacie ou d’autres domaines. Les domaines d’application concernent la synthèse organique, la recherche de nouveaux matériaux, de nouveaux polymères, la recherche de nouvelles méthodes d’analyse, de nouvelles propriétés de molécules pharmaceutiques…
L’outil peut par ailleurs intéresser des étudiants, des indépendants, des professions juridiques qui travaillent sur des questions de propriété industrielle, de brevets.
Les dirigeants d’entreprises y voient également un intérêt direct, puisque l’on peut associer au résultat de recherche des données réglementaires, économiques ou géopolitiques qui représentent une aide à la décision. À titre d’exemple, si on invoque une formulation comprenant les molécules interdites sur certains territoires, une alerte peut être émise tout de suite. On évite ainsi d’interroger le service juridique ou d’autres départements dans l’entreprise.
C. W. : Oui. Nous avons obtenu rapidement d’importants financements, par exemple par le biais de la labellisation Deeptech de Bpifrance et grâce à la Bourse French Tech Emergence. Le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) et l’obtention du Crédit Impôt Recherche (CIR) jouent bien sûr aussi un rôle important. Nous disposons également d’une société sœur basée à Montréal avec qui nous travaillons en collaboration pour le développement de cet outil. Nous entrons désormais dans une nouvelle phase, car la commercialisation du produit est prévue pour l’été 2024, aussi bien en France qu’en Amérique du nord.